Arina ESSIPOWITSCH

Fictions Documentaires
" Pieds nus sur le carrelage, Arina Essipowitsch ouvre un gros livre carré posé à même le sol. Par un jeu de mains habile, elle en déplie les pages comme un leporello à plusieurs bandes : une image noir et blanc apparaît, puis, au verso, une deuxième image se superpose. Devant un public qui retient son souffle, l’artiste déploie des photographies grand format, les fait disparaître, les plie, les déplie pour mieux les réassembler ensuite. La performance Fold a constitué un temps fort de l’ouverture du festival Fictions documentaires à Carcassonne. «Je suis partie de Biélorussie avec une boîte carrée dans laquelle j’ai pu emporter quelques objets. Je ne pensais pas qu’un jour cette boîte allait se matérialiser sous la forme d’un livre d’images et d’une performance», raconte la jeune femme qui a émigré en Allemagne avec sa famille en 2001. Née à Minsk en 1984, issue d’une famille de scientifiques, Arina Essipowitsch, aujourd’hui citoyenne française, a créé ce mystérieux livre-objet qui contient un grand autoportrait. Palimpseste visuel, Fold raconte sa trajectoire et son identité fragmentée. Elle incarne à merveille la mémoire diluée et la plasticité des images. (...)"
Clémentine Mercier, 2021
source https://www.liberation.fr/culture/photographie/festival-de-la-photographie-sociale-fictions-et-documentaire-etonnent-a-carcassonne-20211127_6OJZTOWGMFDNTDUILDQSHOYUGA/

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Allochnonotopie
Les termes « Allochronie » et « allotopie » apparaissent dans Les promesses des monstres, texte où Donna Haraway tente d’échapper à un désespoir philosophique en envisageant l’utopie science-fictionnelle d’un collectif hétérogène où humains et non-humains (animaux, machines…) coconstruisent la nature – qui n’est plus réductible à une propriété, une origine, une matrice, un espace vierge et innocent… Cet inappropriable serait aussi bien le langage, le corps, la nature, d’hier ou de demain.
Avec Victor del (M)Oral Rivera, le langage retentit comme une architecture et le paysage se diffracte dans des fragments de texte. Gestes monumentaux (La Chute du A), performances, le thème de la réversibilité des idées est indissociable d’un jeu de miroir qui est dans l’espace lui-même.
Chez Arina Essipowitsch, l’intimité sensuelle des photographies participe de la constitution d’un récit privé pour la rencontre toujours trouble des corps avec : d’autres corps, des paysages, la lumière, la terre, l’eau… Mises-en-scènes, fictions ou récits sont produits depuis un espace autorial élargi.
-Paul-Emmanuel Odin, 2020
source https://manifesta13.org/fr/projects/allochronotopie/index.html
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Soleil noir
Exposition en noir et blanc ou presque à la Compagnie, où Paul-Emmanuel Odin invite deux artistes récemment sortis de l’école. Histoires d’atomes crochus et de vies qui ne marquent plus de distance avec l’art…
Arina Essipowitsch et Maxime Chevallier sont liés. Liés l’un à l’autre et liés à la lune. Ils se sont rencontrés aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence et partagent depuis ce lien, que l’exposition Equinoxe vient nourrir encore d’avantage… Elle est photographe, lui explore des contrées du dessin et de la sculpture peu visitées jusqu’à présent. Au Mac Arteum de Châteauneuf-le-Rouge, le jeune homme parsemait le sol en tomettes de mandalas pyramidaux réalisés à base de sel. A la Compagnie, le rapport au sol est encore présent dès l’entrée de l’exposition avec, cette fois, la trace d’un mouvement rapide, inscrit dans de l’argile blanche, qui se révèle sur le béton ciré noir. Maxime Chevallier s’envisage pourtant comme sculpteur. Il tend entre les deux médiums une corde qui ramène une pratique vers l’autre. Le dessin se libère dans l’espace, s’adaptant aux contingences d’un lieu, tandis que la sculpture est conservée précieusement dans les intercalaires d’un classeur. Il appartient à cette génération d’artistes pour lesquels les clivages entre peinture, dessin et sculpture n’ont plus lieu d’être. Il opère avec délicatesse, tels ses dessins « encapsulés » qui semblent s’évaporer. Il travaille avec parcimonie et rareté, comme le dit Paul-Emmanuel Odin. Les choses commencent d’abord par se taire avant de s’esquisser. Ainsi, dans ces assiettes posées en tension contre le mur, le sable et l’encre noire semblent former des croissants de lune en train de s’éteindre. Le titre évoque plutôt le soleil, mais le soleil noir de l’éclipse, qui, dans le fond de la faïence, entonne les mots du poète :
« Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil. (1) »
Au-dessus sont suspendus sur une corde les négatifs confiés par Arina. On y devine des corps tirés de l’histoire de l’art, mais aussi de vraies personnes. Tout est fragile et éphémère chez Maxime Chevallier. Les choses sont contenues, détentrices de mystères, non révélées. Son monde n’est pas celui de la figure, mais celui des forces qui régissent les lois de la physique. Celles du geste, de la matière, et celles, mentales et morales, qui déterminent ce tout. L’artiste le dit lui-même : il est à la fois le contenant et le contenu. Il est aussi le sujet des photographies d’Arina…
Arina, quant à elle, photographie Maxime et les autres, de nombreux autres… Dans l’installation vidéo Jeu de cartes, il n’est pas question de Cézanne mais, tout comme les joueurs du tableau, Arina et Maxime sont assis à une table. Ils commentent des images familières, visages qui dévoilent les histoires des uns et les secrets des autres. A l’instar de Jess (la décision), où le papier photo grave l’épisode d’une vie. Le moment crucial d’une jeune femme face à une décision que le test de grossesse nous révèle. Le tirage est grand et le sujet grave, mais le tout s’impose au spectateur sans grandiloquence, focalisant sur ses mains et l’objet du questionnement. Arina s’immisce ainsi dans la vie de ceux qui lui sont proches et en fait sa matière, instants de vie placardés sur les cimaises de l’exposition, rébus d’une histoire issue de rencontres, de personnages saisis dans leur intimité, leur spontanéité, leur jeunesse. Tout ici est pour l’art, même l’absence d’un ami dont les idées se troublaient après l’obtention du diplôme et qui lui offre l’une des plus belles pièces de l’exposition, les mots d’un jeune homme qui bascule, à l’image du portrait qu’Arina faisait de lui…
Céline Ghisleri

Notes
Charles Baudelaire – Tristesses de la lune, in Les Fleurs du mal
source https://www.journalventilo.fr/arina-essipowitsch-et-maxime-chevallier-equinoxe-a-la-compagnie/